"Visiter ou Habiter le Syndic de la guilde des drapiers de Rembrandt." Une proposition d’utopie artistique de Pascale Web

«Visiter ou Habiter le Syndic de la guilde des drapiers de Rembrandt. »

Une proposition d’utopie artistique de Pascale Weber.

Par Jérôme Rouland,

(SuperPositions, livre-dvd de la résidence d’artiste de Pascale Weber à la Pommerie en oct 2005, éd. Dans Mon Carré/ La Pommerie, Limoge, 2005, 42 p.)

L’utopie est un non-lieu puisqu’elle n’est en aucun lieu – si ce n’est imaginaire. L’espace d’un tableau peut ainsi devenir une utopie de ce monde ; sorte d’illusion et de réceptacle, où l’utopie prend place et où la peinture ainsi étendue sur une toile la réalise. Pascale Weber se propose ainsi de nous faire rejoindre de lieux en lieux utopiques – ceux de la vidéo, ceux de l’incrustation d’images vidéo sur le fond du tableau de Rembrandt, ceux de ses marges virtuelles, ceux du tableau lui-même ainsi représenté – d’autres temps : celui de la genèse de l’oeuvre d’art et ceux de sa postérité. Marguerite Yourcenar notait déjà dans ses Carnets de notes aux Mémoires d’Hadrien que “le temps ne fait rien à l’affaire. Ce m’est toujours une surprise que mes contemporains, qui croient avoir conquis et transformé l’espace, ignorent qu’on peut rétrécir à son gré la distance des siècles.” Pascale Weber parvient à donner la preuve par l’expérience, de ce rétrécissement des distances et des siècles, grâce à ce médiateur qu’est la vidéo, médiateur “au carré” puisqu’il n’est que le médiateur d’un premier medium, le tableau de Rembrandt.

Ces jeux de mises en abîmes sont de la même veine que ceux de Vermeer ou de Vélasquez lorsqu’ils se représentaient peignant le tableau où ils se trouveront être vus. Nos réflexions, nos interprétations, nos interrogations nous installent ou plutôt nous déplacent sans cesse d’une réalité à une autre, d’un référent à un autre. C’est ainsi, comme en suspens, que l’on pourra s’étonner de ces spectres, de ces fantômes habités qui jouent ou rejouent cette scène de groupe où l’on a quelque gène à voir et à entendre comment les individus peuvent ainsi être sourds à ceux qui les entourent. Absurdité de notre existence, tragique de celui qui s’interroge par désir de comprendre, ou jeu ironique et parfois comique de celui qui prend place sur cette même scène? C’est à ces mouvements de la pensée qu’éveille l’oeuvre de Pascale Weber, rejoignant ainsi la lignée des grands manieurs de l’image. Peut-être est-ce alors l’occasion d’éprouver et de comprendre ce qu’il en est de l’art et de ses enjeux en se retrouvant soi-même pris dans ce mouvement créateur. Peut-être est-ce l’occasion de changer notre regard, tout simplement. »