De l'espace virtuel, du corps en présence

 

Recension dans Open Edition,

Questions de communication

Cet ouvrage explore le rapport corps/virtuel à partir de deux grands axes : l’art, et les relations interpersonnelles ou de la personne à elle-même. À côté, il fait la part belle à une réflexion très riche en laissant s’exprimer toute la diversité des domaines abordés. Certains contributeurs interrogent la thématique de l’art. Alain Milon s’intéresse à la place du corps numérique dans le dispositif artistique en pointant la prédominance de la technologie sur la création. Monica Espina réfléchit sur la rencontre entre le corps réel du comédien et son image virtuelle dans des scénographies « in live » (p. 95) aux supports variés dans lesquelles le public joue un rôle actif. Jean Delsaux s’intéresse au rapport entre les technologies et l’esthétique ; il montre que « les développements des sciences et des techniques favorisent le renouvellement des conditions de perception et d’agencement de notre milieu, ils déterminent ainsi les conditions de développement et de réception des œuvres » (p. 97). Michel Bret travaille sur les dispositifs interactifs ; il propose la notion d’« espace corps » (p. 115) pour réconcilier le corps sensible de l’art, le corps esprit de la philosophie, l’espace physique dans lequel tout un chacun évolue et l’espace abstrait des modèles qui rendent possible la mise en scène des jeux mettant en interaction ces différentes entités. Chris Younès s’intéresse à la confrontation de la virtualité imaginative au possible matériel dans la création architecturale ; il traite des différentes conceptions de l’imagination en philosophie, puis explique en quoi le projet d’architecture répond à « l’épreuve du réel et de l’éthique » (p. 132). Quant à Marcin Sobieszczanski, il travaille sur la modélisation informatique de la danse qui transforme le rapport à la chorégraphie et l’enseignement ; il montre aussi comment une partie de ce qui est essentiel dans cet art échappe à la technologie : le mouvement comme continuité du corps explorant « l’infinie richesse de ses propres états virtuels » (p. 190).

D’autres contributeurs interrogent le thème des relations. Pascale Weber réfléchit sur la création d’une plateforme collaborative et ses implications. Elle montre que les usages définissent tout autant un lieu numérique que le ferait une architecture tangible pour un lieu physique. Les corps virtuels sont engagés dans l’action numérique et se socialisent à travers les relations qu’ils nouent entre deux. Travailler sur de nouveaux espaces revient donc à saisir les nouvelles relations individuelles et collectives que notre corps entretient avec le contexte dans lequel il évolue, que celui-ci soit physique ou numérique, la frontière entre les deux étant très poreuse. Daniel Lance s’intéresse à la relation des corps dans l’espace virtuel. En mobilisant la philosophie analytique et la pragmatique, il utilise la notion de dialogisme afin de montrer que, dans le réel comme dans le virtuel, c’est la force ou la faiblesse de la co-construction d’un discours né de la rencontre des corps qui est prépondérante. Françoise Quinche s’intéresse au rapport entre le corps et le virtuel à travers les avatars ; elle distingue les « icônes représentant l’internaute sur un forum, un réseau social » (p. 147) des « représentations actives » grâce auxquelles on peut « intervenir et se déplacer dans un monde virtuel » (p. 148), en s’affranchissant des limites du corps et de l’espace. Les autres auteurs s’intéressent à des domaines divers qui composent, en partie, la grande richesse de l’ouvrage. Bernard Andrieu s’intéresse à l’« immersion corporelle dans le virtuel spatial » (p. 34) à partir de différentes entrées. Il commence par montrer comment, à partir d’apports de domaines aussi variés que le cinéma, l’entraînement militaire, l’art, le jeu vidéo, et la chirurgie, se crée la réalité virtuelle comme « modèle haptique du corps » (p. 38). Puis, il aborde les combinaisons sensorielles qui permettent au corps de percevoir des images mentales et des sensations par stimulation artificielle et aux consoles de jeu qui rendent possible l’externalisation du corps « dans l’action et dans la perception, faisant ainsi de l’espace à la fois une réalité extérieure et physique ainsi qu’une réalité intérieure et vécue » (p. 43). Enfin, il traite de la guérison par l’utilisation de l’espace virtuel.

Marc Chevaldonné s’intéresse pour sa part à la conception d’environnements virtuels interactifs ; il explique que les concepteurs cherchent à recréer en réalité virtuelle les actions et perceptions que les utilisateurs ont dans le monde réel, sans y parvenir totalement. En effet, ce sont les interfaces qui relient mondes virtuels et réels, et, bien qu’indispensables, elles diminuent la qualité de l’interaction entre l’utilisateur et l’environnement virtuel. Pour corriger cette perte, on utilise des programmes et des métaphores de visualisation et d’interaction. On considère une application comme un succès lorsque l’utilisateur l’oublie ou la considère comme une extension de son propre corps. Fabienne Martin-Juchat traite des interactions entre les différents types de représentation et le corps et montre que les techniques de communication travaillent l’affectivité de façon à provoquer une identification, quel que soit le type de représentation. Envisagée dans son sens premier – mettre en mouvement –, l’émotion est alors mouvement du corps immergé dans des valeurs qu’il incorpore et diffuse. Au vu de l’importance accordée par les stratégies de communication à l’immersion du corps, l’auteure invite à se pencher sur des modèles théoriques le prenant davantage en considération.

C’est sur le « verbe comme espace virtuel de la chair » (p. 73) que se centre Jacques Gleyse ; il part de la mythologie biblique et montre que, selon cette dernière, c’est l’incarnation de la parole dans la chair qui a produit l’humain. Puis, il décrit les mythes de l’anthropologie en mettant en évidence que dans la pensée mythologique des sociétés orales, c’est le langage (le virtuel) qui agit sur le corporel ; enfin, il fait le lien avec les anthropologies contemporaines, en abordant notamment le cas du placebo qui se résume à l’action du verbe sur le corps, et aux troubles alimentaires. En revanche, David Bihanic traite du rapport entre le corps et le virtuel à partir d’un espace spécifique qu’occupe le corps : l’habitat. Les nouveaux concepts de l’habitat intègrent le possible, font fi des barrières temporelles et factuelles, et proposent un habiter qui prolonge et déplace les frontières et les limites du réel. Timothée Jobert, Julien Soler et Véline Verchère réalisent des enquêtes socio-ethnographiques sur les pratiques des technologies d’interactions gestuelles. Où la technologie imagine une fluidité d’exécution qui ferait oublier la matérialité du corps, ces travaux pointent l’impératif de composer avec les pratiques incorporées.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Nadaud-Albertini, « Jean Delsaux, Pascale Weber, dirs, De l’espace virtuel, du corps en présence »Questions de communication, 19 | 2011, 303-304.

Référence électronique

Nathalie Nadaud-Albertini, « Jean Delsaux, Pascale Weber, dirs, De l’espace virtuel, du corps en présence »Questions de communication [En ligne], 19 | 2011, mis en ligne le , consulté le 29 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2758 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.2758

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Auteur

Nathalie Nadaud-Albertini

CEMS, École des hautes études en sciences sociales, Paris
nnadaud@noos.fr